MON CONSEIL DE RENTRÉE LITTÉRAIRE

Daniel SCHNEIDERMANN

Daniel SCHNEIDERMANN

Chronique parue dans Libération le 4 septembre 2023.

Tadadadam. Sonneries de tambour. C'est la Rentrée Littéraire. Majuscules, s'il vous plaît. Dès la seconde quinzaine d'août, roulent les avalanches de critiques, d'interviews, de portraits de littérateurs. Aux armes, l'Édition, sortez-moi les écrivaines et les écrivains. Alignez-les-moi sur trois rangs, que j'en vois pas un qui dépasse avant le top départ, juste après le pont du 15 août.
 
Une âme charitable a-t-elle prévenu les pontes de l'édition de l'existence, juste auparavant, d'une période dénommée les vacances, au cours de laquelle la population lectrice aurait du temps de cerveau disponible à consacrer à la chose écrite ? N'a-t-on jamais tenté d'orchestrer une rentrée littéraire en juin, ou bien étalée dans l'année, en contrôle continu, comme feu le Bac Blanquer ? Non. Selon un article secret de la Constitution française, l'été ne peut être consacré qu'à la lecture d'infâmes pavés best-sellers insensibles aux grains de sable et à l'eau de mer, dont il serait inconvenant de rendre compte dans la presse. On parle de la France, après tout, pays où la lecture n'est pas considérée comme un loisir mais comme une discipline, au sens de toutes les disciplines que l'on retrouve à la rentrée (dictée, trigonométrie, histoire chronologique, etc.). Cette discipline est dûment sanctionnée par les Prix d'Automne (majuscules SVP), ce concours national de la Grande Nation (majuscules), Patrie de Proust et de Flaubert. Existe-t-il une rentrée littéraire en Suisse, en Allemagne, au Danemark, tous pays incultes et mornes, qui n'ont jamais entendu parler de la controverse entre Corneille et Racine ? (Peut-être, oui, je n'en sais rien).
 
À propos de critiques, d'interviews ou de portraits, je vous livre un truc d'insider. Logiquement, dans les journaux, tout livre appelle une critique. Éventuellement, en bonus, peut s'adjoindre une interview ou un portrait de l'auteur. Mais si vous voyez passer une longue interview de l'auteur sans aucune critique du livre, attention, lézard. Cela signifie très certainement (probabilité 98,99%, statistique personnelle) que la rédaction tout en estimant le livre ou l'auteur « incontournable », a jugé sa dernière livraison trop décevante pour le critiquer honnêtement. Sans trop avoir envie de l'éreinter, parce que malgré tout, on l'aime bien. Maintenant, vous ne pourrez pas faire semblant de l'ignorer.
 
Parmi les premiers échappés de cette rentrée, un certain Goldman, Jean-Jacques, aka « la personnalité préférée des Français » de feu Le JDD d'avant Qui-vous-savez. Enfin pas exactement lui, un livre à lui consacré par l'historien Ivan Jablonka. Pas vraiment une biographie non plus. Disons... un livre et n'en parlons plus. Couvertures partout (L'Obs, Libération, Le Point, Le Parisien). « Pourquoi Goldman fascine toujours », titre Le Parisien. « Quand la musique questionne », parodie Libération. « Mérite, travail, optimisme : quand la France s'aimait », nostalgise Le Point, organe giscardo-pompidolien historique.
 
Les couvertures de presse, surtout l'été, n'aiment rien tant que de dénicher les signaux faibles de la période, comme on va aux palourdes dans la vase (à cette différence qu'on ne revient jamais bredouille). Goldman est donc promu Signe. De gauche ? De droite ? Peu importe, et c'est d'autant mieux si un débat est envisageable sur le sujet. Mais tout de même. Au-delà de son état d'objet idéalement récupérable par la gauche et la droite, de quoi le Grand Silencieux est-il le nom ? Et surtout quel cénacle ultra-fermé décide, au début de l'été, sur la foi de quelles informations secrètes, de quelles photos satellite, que la rentrée sera Goldman ? Éternel mystère du marketing éditorial.
 
À ce stade de la réflexion, vous seriez déçus que je ne vous partage pas mon conseil personnel. Pourchet, Maria Pourchet, une des concurrentes de l'année. Son avant-dernier roman, Feu, m'avait comme son nom l'indique, enflammé en 2021, avec ses phrases si savamment perchées qu'elles tiennent toutes seules sans jamais s'écrouler, mais quel est donc son truc ? J'avais bingé l'œuvre complète dans la foulée, et tympanisé l'entourage -« Comment ça, tu n'as pas lu Pourchet ? ». Cette rentrée Maria Pourchet est partout pour son dernier, Western, médaille d'argent à l'étape derrière Jablonka (couve des Inrocks, interview en ouverture dans Télérama, etc.). Forcément, j'ai foncé chez le libraire -je fais mon malin mais je galope. Bon. OK. La fin... comment dire sans le dire ? Si vous avez suivi ce qui précède, vous aurez compris qu'il vaut mieux lire Feu. En plus, il est aujourd'hui sorti en poche, c'est moins cher. C'est mon conseil d'influenceur rentrée.
#12marsjelis : le « quart d’heure de lecture » national
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